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Interview exclusive

Franck Lucas s'enfonce dans le nord de l'Europe

Grand Prix Suède 1962  250cc (1/2)

Enkoping, c’est une petite ville à proximité de Stockholm, beaucoup plus au nord que les circuits que nous avions jusque là visité en Suède. Mais ce n’est pas à cette position géographique que nous avons dû de rencontrer là bas, le froid et la pluie, car, en réalité, dès les premiers kilomètres, les circonstances atmosphériques se sont résolument montrées hostiles et les 2 500 km du voyage accompli par notre méridional Lucas ne lui ont guère laisse le loisir d’abandonner le bouton de l’essuie-glace que pour saisir un mouchoir !

Lui (et nous-même) aurions pourtant bien mérité que cette entreprise soit à l’origine de quelques bons souvenirs. En effet, il avait fallu beaucoup de persévérance de notre coté, beaucoup d’esprit sportif chez notre coureur pour que la France fut présente à cet avant dernier Grand Prix du Championnat du Monde de la petite cylindrée.

Figurez-vous d’abord, que l’engagement de Lucas à Enkoping n’a pas été obtenu facilement. Nous avions bien écris, 3 mois avant le déroulement de l’épreuve, mais ce ne fut qu’à 2 semaines du grand jour que nous avons été avisés d’un refus sous le prétexte que le plateau était complet.

Naturellement, nous nous sommes fâchés ! Pour deux excellente raisons ! D’abord, si la candidature avait été prise en considération quand elle est parvenue aux organisateurs, ceux-ci n’auraient sûrement pas pu répondre qu’ils n’avaient plus de place ! Ensuite, nous n’avons pas voulu admettre que notre pays, qui a reçu pour son compte 4 Suédois à Saint-Quentin et 7 à Pernes-les-Fontaines se voit interdire la participation au GP de Suède du seul de ses coureurs classé au palmarès (avec les 2 points conquis au GP d’Espagne).

Conséquence de notre intervention (mécontente) auprès de M. Gulberg, secrétaire général de la SVEMO et de notre excellent ami le Baron Eric Von Essen, président de la dite, l’engagement de Franck Lucas fut enfin accepté, télégraphiquement, au tout dernier moment.

Mais n’allez pas penser qu’une affaire si mal engagée allait désormais se poursuivre sans plus de complications. Outre Lucas, nous avions prévu un second coureur, spécialiste de la petite cylindrée, amateur d’épreuves à l’étranger et qui nous avait lui même demandé à aller en Suède, contrée si coûteuse à atteindre qu’on imagine mal un seul coureur s’y rendre pour 500 NF de prime de départ !

Or, devinez ce qui s’est passé, après que nous ayons adressé à ce crossman son bulletin d’engagement et toutes les instructions nécessaires pour effectuer le déplacement de concert avec Lucas ? Eh bien ledit pilote nous a carrément laisse tomber ! Comprenez bien : il n’a pas renvoyé à la SVEMO le bulletin d’engagement à son nom et il n’a pas davantage retourné à notre adresse ce document, nous empêchant par la même de nous retourner vers un autre coureur à la fois pour honorer notre contrat moral avec les organisateurs suédois et pour rendre le voyage moins onéreux en ce qui concernait Lucas !

Nous avons donc appris la carence de notre second candidat qu’au moment de partir, alors qu’il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Par chance, Lucas, lui, avait tenu tout de même à respecter sa parole, sinon, après toute cette histoire avec la SVEMO, nous aurions eu bonne mine !

Franck Lucas est bien là ! (au centre) entre Helmbold, Friedrichs et Jansen, Robert

Apres toutes ces péripéties, en dépit des intempéries, nous avons tout de même découvert dans le creux d’un après-midi, les plaques indicatrices informant le voyageur qu’il entrait dans Enkoping. Enfin pensions-nous, les bons moments approchent. A vrai dire, il pleuvait toujours, mais nous touchions au but et, nous souvenant des brillantes organisations de Knutstorp, de Malmö, nous nous réconfortions d’avance en songeant à tout ce qui nous attendait de grand, de bon, de beau !

Pourtant, bien qu’assures d’être à Enkoping, nous n’étions, hélas pas au bout de nos peines. Car il fallait trouver le circuit, qu’aucun signe n’indiquait en ville, qu’aucun fléchage, aucune affiche, aucune banderole ne matérialisait (non plus que l’organisation elle-même) à nos regards.

De long en large, nous rodions donc à travers la ville, guettant le passant susceptible de nous renseigner, à supposer qu’il parlât cette langue anglaise, moins connue en Suède qu’on tend à le croire ici ! Une voiture française devait finir par attirer notre attention et, après une demi-heure de patrouille en ville, nous fumes diriges vers la piste, vers un chemin étroit, boueux, sinueux, où Lucas devait le lendemain, laisser l’antenne radio de son véhicule en tribut aux basses branches de la végétation ambiante !

Pourquoi diable, d’ailleurs, voulions-nous voir la piste, comme aussi les coureurs belges ? Pourquoi, puisque aucun entraînement n’était prévu le samedi, puisque le circuit, encore dépourvu de tous ses aménagements, n’était ni fermé, ni gardé ?

Rêvions-nous ? S’agissait-il du Grand Prix de Suède ? Oui, pourtant, mais d’un Grand Prix dont le niveau, nous devions le vérifier par la suite, pouvait difficilement se situer, d’un point de vue général, au niveau de nos bonnes épreuves nationales !

Sivert Ericksson, un des nombreux suédois qui se sont taillés la part du lion

Pas d’affiches sur les routes, pas de signalisation, des installations embryonnaires, terriblement insuffisantes en raison du mauvais temps, pas de service d’ordre, pas de mesure de protection, pas de bureau de la course en ville, personne pour se soucier des étrangers, dans un pays où la moindre erreur d’appréciation vous conduit à payer le bifteck-frites 11 Nouveaux Francs et une chambre pour deux 35 Nouveaux Francs au bas mot !

Nous n’inventons rien : le club organisateur n’avait évidemment pas la moindre idée de ce qu’on désigne ailleurs sous le nom de Grand Prix et ce que nous avons vu, vécu, nous permet encore mieux de comprendre pourquoi les crossmens suédois sont si ardents à l’idée de courir hors de chez eux !

Gentils, tous ces gens, bien sûr. Mais ce n’est pas avec cela seulement qu’on fait une grande épreuve, une épreuve capable de marque d’un bon souvenir le passage d’un étranger ? Assurément pas !

Toujours est-il que nous avons rembarqué, que nous avons cherché nos chambres, puis un restaurant et que, la poche plus légère, l’estomac tout juste garni (pensez donc à ce prix !) nous sommes allés demander à la nuit l’oubli de nos déceptions.

Source et photo moto revue n°1393 / RCD