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Interview exclusive

Grosse ambiance à Mayenne

 Les championnats de France 1957 - 500cc (4/4)
Le circuit de Mayenne et la vallée du Saut du Renard.

Bien commencé le 12 mai dernier à Vesoul, le Championnat 1957 des Internationaux a connu le 30 juin à Mayenne, une conclusion digne de lui et qui, tant sur le plan purement sportif que dans le domaine de l'organisation générale, est venue heureusement effacer la pénible impression que nous avions rapportée d'Albi.
Quel cadre magnifique que cette " vallée du Saut de Renard " aux cents couleurs étincelantes sous l'intense lumière diffusée généreusement, dès les premières heures de la matinée, par un soleil présent plus que jamais à cette ultime confrontation pour le titre, et qu'il faut bien remercier d'avoir brillé largement sur les quatre épreuves retenues cette année.

Nous nous en voudrions de tarder davantage à exprimer notre satisfaction : dans l'ouest, sous l'impulsion de l'active ligue régionale dirigée dynamiquement, avec une indiscutable compétence par le Président Seery, on avait fait les choses sérieusement.

Le terrain, d'un développement de 2 kilomètres et d'une largeur jamais inférieure à 5 mètres (la commission d'homologation de la ligue était passée par là !) ne pouvait prêter à aucune critique, sa disposition autorisant partout le dépassement.
En face la tour de contrôle (imposante construction dont l'élévation assurait aux pointeurs, chronométreur, etc, une vision totale des péripéties de la course) se situait sur la ligne de départ longue de quelques 200 mètres, large autant qu'un pré et qui, bien entendu, permis un "start" réglementaire, tous partants alignés sur un seul rang. (A ce propos, il nous fut en effet confirmé, par un membre de la Commission de motocross de la Fédération, que le départ sur deux lignes, tel qu'il fut donné à Albi est parfaitement interdit !).

Notre premier tour d'horizon sur le terrain de Mayenne devait encore nous ménager quelques surprises agréables, la moindre n'étant pas de rencontrer dès le commencement de la journée (et pour le retrouver jusqu'au soir partout où quelque chose justifiait sa présence) un délégué de la Fédération d'un type auquel nous n'étions pas habitué, n'ayant jusqu'ici rencontré ces Messieurs qu'assez loin du bruit des échappements ! Félicitons donc doublement M. Druet pour sa contribution effective au bon déroulement de cette journée, et puisse l'exemple qu'il donna à Mayenne servir utilement à l'édification de ses collègues de la FFM en général, et à celui de la ligue du Poitou en particulier.


Mise en œuvre de gros moyens financiers (aucun "mégotage" à Mayenne), aussi bien quant aux divers points de l'organisation qu'en ce qui concerne les prix accordés aux coureurs), compétences à tous les postes, attachement sincère, évident de chacun envers la cause sportive, tout cela ne pouvait faire de cette réunion de Championnat de France qu'une manifestation de belle classe.
Ce but a été grandement atteint : le MC Mayennais a fait preuve de ses réelles possibilités et nous ne pouvons qu'applaudir sans réserve à la nouvelle qu'on vient de lui confier officiellement la mise sur pied du Grand Prix de France 1959, épreuve comptant au titre du Championnat du Monde.


Devant la tour de chronométrage, de l'autre côté de la ligne de départ, se dresse une vaste tribune officielle, réservée aux personnalités qui honoreront de leur présence, tout à l'heure, la dernière manche du championnat. Tout à côté, tenez-vous bien, un restaurant, vaste salle couverte, ombragée, décorée de plantes vertes et où dans quelques heures, le public pourra déguster un menu de qualité (servi à un prix "routier") tout en conservant un regard sur la piste. Combien de terrains de cross, en France, offrent aux spectateurs un tel confort ?


A l'opposé du petit bâtiment qui abrite les services du MCM, bordant la ligne de départ et rattaché directement, par un "couloir" de quelques mètres, au parc des coureurs, se trouve l'emplacement dit "parc fermé", où les inters devront une heure avant leur course déposer leurs machines. Ici donc, pour les hommes, aucune allée et venue compliquée, d'autant que la station d'essence où leur sera délivré dans un moment le carburant "officiel" est elle aussi installée là, sur le même plan.


Il n'est pas neuf heures et cependant le public arrive, car c'est non pas à une après-midi, mais bien à une journée de sport motocycliste qu'il est convié. Une bonne surprise nous attendait à l'entrée du parc des coureurs : "Jeannot" Hazianis était là, en effet magnifiquement bronzé, souriant comme (presque) toujours, avec un pouce délivré du plâtre, mais bien enflé encore. Et à côté de lui...une Matchless flambant neuve ! Ca ne va pas mal, nous dit le sympathique pilote, du moins dans les premiers tours. Après, le pouce fait parler de lui...Mais la Matchless ? Légère, sans doute trop légère même. Quant aux chevaux, on les sent surtout dans les démarrages, mais ce n'est pas "ça". Il va falloir sérieusement travailler la question ! La "question", Michel Jacquemin et son mécanicien, le pilote "national" Chauderon l'ont approfondie depuis le début de la saison. Après les plaques de fixation du moteur et divers renforcements de la partie cycle, la Matchless du Champion de France 1956 a reçu pour Mayenne, une "triangulation" du tube avant du cadre. Celui-ci tiendra, d'ailleurs, mais Jacquemin semble ne plus "croire" en sa monture, et son moral s'en ressent.


Michel Jacquemin va perdre son titre ce soir.

Le malchanceux "chronique" de ce championnat 1957 est sans conteste Henri Frantz, qui " casse " régulièrement. Nous relevons sur sa Matchless (le troisième en service donc chez nos inter) une roue arrière de...Gilera. Il cassera aujourd'hui encore...la chaîne primaire, pour changer un peu ! Henri Frantz, malchanceux.Faut-il conclure que la Matchless cross " client " n'est pas au point ? Sans doute, car elle ne se différencie pas suffisamment des modèles " tourisme " de la marque pour pouvoir consentir aux durs efforts qui lui sont proposés ici. On nous dira que Nic Jansen, le champion de Belgique, casse rarement et gagne souvent, avec la même machine.


Voire ! La Matchless de Jansen a un cylindre plus largement ailetté que celles de nos pilotes...De là à conclure que l'usine est passée par là, il n'y qu'un pas ! Dommage que la marque anglaise n'ait pas voulu produire en petite série des machines vraiment " spéciales ", qui lui eussent assurer un excellent débouché dans notre pays. Maintenant, il est bien tard pour remonter le courant !


Autre rencontre inattendue : Robert Klym est là, jambe gauche dans le plâtre jusqu'à la cuisse, allongé dans le coin où s'est installé son frère René. L'infortuné accidenté d'Albi a retrouvé le moral : malchanceux, deux années consécutives, il a vu lui échapper un titre qui a chaque fois semblait acquis mais espère bien prendre une revanche éclatante sur le sort en 1958. Après la pluie, le beau temps ! En attendant, il suit d'un regard attentif les préparatifs des uns et des autres, très entouré, recevant de nombreux témoignages d'amitié. Il est ici en " invité du club ", qui a poussé la délicatesse jusqu'à prévoir une voiturette à âne pour le transporter jusqu'à la tribune officielle, où un lit de repos a été préparé. Ici, du moins, on sait vivre !


On travaille sur les mécaniques, de ci, de là, sans fièvre pourtant, car il fait chaud et puis on a bien le temps, l'épreuve de championnat n'étant prévue que pour 17 heures ! La foule, maintenant, devient nombreuse. De place en place, on se prépare à pique-niquer. Retournons vers la piste : les inters vont maintenant s'entraîner une heure durant. A vrai dire, il n'y a pas tellement de " clients ", sans doute du fait de la température qui, le soleil étant proche du zénith, est à proprement parler accablante. Enfin, les hommes sont là depuis la veille, pour la plupart, et ont déjà tourné longuement. Schmid, pourtant, accomplit quelques tours et nous nous plaisons à le regarder passer, tant son style est pur, " coulé ", sommes-nous tenté d'écrire. Il tourne vite, mais ça ne se voit pas, tellement il reste en ligne, abordant en souplesse les pires difficultés, ne brisant jamais sa lancée. Schmid ? Un très fin pilote, la chose est certaine. Voici que passe Melioli, sans prétention quant au résultat final, mais qui n'en tourne pas moins sérieusement. Personne ne sait mieux que lui s'appuyer sur la seule roue arrière pour se dresser quasiment à la verticale ! Et viennent encore Jacquemin, qui semble aller sans peine, Frantz, sans grande conviction, Godey bien placé au classement général cette année.
Belle sixième place finale pour Paul Godey !Enfin Bertrand, qui se rue littéralement à l'abordage de la piste et va ramasser dans l'instant une retentissante " gamelle ". C'est que le sol, labouré par les multiples passages des nationaux tout à l'heure, recèle maintenant à certains endroits une couche de poussière dans laquelle pour la mesurer, nous enfonçons le pied jusqu'au dessus de la cheville ! Rien n'est plus glissant que cette épaisse couche meuble.


Il semble que Bertrand soit sérieusement sonné. Nous allons le voir à l'infirmerie (emplacement retiré, planté d'arbres qui dispensant un peu de fraîcheur dans la fournaise ambiante). Le blessé repose calmement sous la surveillance d'une infirmière. Pas de blessure grave, mais quelques contusions, et la peau du dos totalement raclée, brulée par la dure glissade sur le sol. Courageux, résolu, le jeune pilote (qu'une seule saison au sein des inters a placé au niveau des meilleurs) prendra néanmoins le départ.


Guy Bertrand prendra une belle troisième place malgré sa chute à l'entrainement.

Après la course des nationaux et juste avant celle des inters, un groupe se forme au poste de chronométrage : à la demande de Jacques Charrier, on a essayé de retaper le passage dangereux du circuit, sans grand résultat, car on ne peut lutter contre la poussière envahissante, contre l'exceptionnelle chaleur qui dessèche le sol en profondeur. Aussi, à l'instant de lâcher les inters sur le circuit, la question se pose-t-elle de leur sécurité.


Précédemment, on a fait modifier le parcours, à l'intention des nationaux. Mais celui-ci s'en trouve raccourci et ne correspond plus au tracé homologué pour le Championnat de France. Alors que faire ? Consultation générale : le représentant de la Fédération, les officiels de la ligue Anjou-Bretagne, nous-même (qui fûmes très courtoisement consultés) tombons tous d'accord avec M.Floch, directeur de la course, pour maintenir la modification du parcours. Celui-ci y perdra sans aucun doute de son côté spectaculaire, mais qu'est cela dès qu'il s’agit de la vie des coureurs ?


Ceux-ci s'associent entièrement au point de vue des officiels et s'alignent maintenant un peu en arrière de la " starting-gate ". Brève présentation de chacun de ces hommes, dont quelques-uns peuvent encore prétendre au titre de Champion de France, dont l'heure qui suit va décider. Le silence se fait dans le public considérable qui se presse sur plusieurs rangs de chaque côté de la longue ligne droite. Personne sur la piste, en dehors des pilotes et des officiels chargés de donner le départ. Quelques secondes s'écoulent encore, lentement, et puis en un élan, c'est en même temps l'énorme rugissement des échappements et la ruée des 19 inters français vers l'aboutissement de leur saison 1957.


Hazianis n'a rien perdu de sa prestigieuse détente, au cours des deux mois d'immobilisation forcée qu'il vient de connaître : c'est lui qui file en tête avec, dans sa roue, Brassine, trop près du titre pour le laisser échapper.Gilbert Brassine se porte à la 2è place dès le début de la course ! Schmid est là, également, avec Bertrand, Combes, Chuchart, Darrouy, Jacquemin, Vouillon, Charrier, Ledormeur et Godey. Plus loin déjà, Frantz, René Klym, Lusseyran, etc...


Au troisième tour, Hazianis a légèrement augmente son avance et passe seul, Brassine suivant à une quinzaine de mètres, également seul. A une dizaine de secondes viennent ensuite les deux jeunes de l'année, Schmid et Bertrand l'un derrière l'autre, puis un deuxième groupe, formé de Combes qui " tire " Chuchart. Un court instant et nous voyons arriver, séparés entre eux par seulement quelques mètres, tout un peloton de coureurs : Jacquemin, Charrier, Ledormeur déjà bien remonté, Darrouy, Vouillon, Godey, René Klym, Frantz, Melioli. Le dernier est Lefèvre.


Roger Lefèvre (17) remontera de la dernière à la treizième place ! Un top 5 pour René Combes (6) !

Nous laissons passer quelques tours sans pointer, le temps de prendre quelques clichés. Les positions ne varient pas en tête tout au moins, où Hazianis possède 7'' et 3/5 d'avance sur Brassine, qui précède lui même, dans une égale proportion, Schmid et Bertrand. Combes et Chuchart ont maintenant leurs places ainsi d'ailleurs que leurs poursuivants immédiats. Mais déjà, l'homme de tête a rattrapé Lefèvre, qui compte un tour de retard. Au septième tour, il n'y a pas de modifications parmi les premiers. Cependant après Combes, toujours cinquième, ce n'est plus Chuchart qui s'annonce, mais bien Charrier, suivi de Jacquemin et Ledormeur, lequel poursuit sa remontée.


Jacques Charrier (4) et Gérard Ledormeur (16) lors de leur remontée.

Des clameurs s'élèvent à notre gauche, annonçant un nouveau passage, mais à leur intensité, nous pressentons qu'il y a eu du changement au commandement. Effectivement, Hazianis ne repasse plus (une chute, un ligament déplacé, voilà " Jeannot " éloigné des terrains pour quelques semaines supplémentaires). C'est donc Brassine qui passe le premier en abordant le deuxième tiers de l'épreuve, Brassine qui sait maintenant posséder le titre et maintiendra par rapport à ses suivants, une avance suffisante pour n'être jamais inquiété.


Au quinzième tour (des 30 que compte la course), Bertrand, qui, après avoir fourni un effort spectaculaire, a réussi à passer Schmid, est toujours deuxième. Il semble que ses blessures de la matinée soient totalement oubliées, tant il déplie de puissance à chasser dans le sillage de Gilbert Brassine. Combes, durant tout ce temps, tourne très régulièrement, conservant la quatrième place devant Ledormeur qui a encore grignoté quelques adversaires : songez qu'il revient de la onzième position ! Charrier, lui aussi, ne va pas mal, occupant désormais la place de sixième qu'il conservera jusqu'à l'arrivée.


Chuchart passe loin maintenant, et, bien qu'il reste encore dix tours à boucler, il est évident qu'à moins d'un accident, la victoire ne peut échapper à Brassine. Ledormeur continue sur sa lancée : il saute Combes au 21è tour, mais n'ira pas au delà, Bertrand et Schmid étant bien loin devant. Un dernier coup de théâtre dan cette course qui menaçait de perdre tout intérêt, du fait de la forte position du leader : deux tours avant la fin, Bertrand chute et Schmid en profite pour se retrouver deuxième. Il le restera d'ailleurs, bien que l'intrépide Guy fasse l'impossible pour combler le temps perdu à se relever.

Jacques Schmid, 2ème du jour et au classement général final !

C'est l'arrivée. Chaudement acclamé, Gilbert Brassine voit s'incliner devant lui le drapeau à damier. Les officiels, les photographes se précipitent. Mais le Parisien, épuisé par l'intensité de l'effort fourni, n'a qu'un désir rafraîchir son visage à l'eau fraîche, s'affranchir de cette gangue de poussière qui l'enveloppe de partout. C'est bientôt fait.Gilbert Brassine se rafraîchit à l'arrivée !Détendu, souriant, Brassine peut recevoir le maillot de Champion de France (son cinquième !) et accueillir les félicitation du Maire de Mayenne, de ses intimes, du public, de Robert Klym enfin, auquel il offre en retour la superbe Coupe décernée par la ville. Un joli geste de notre champion 1957, dont la victoire fut nette, loyale, sportive.


Voici les résultats :
1) Brassine.G (BSA)
2) Schmid.J (BSA)
3) Bertrand.G (BSA)
4) Ledormeur.Gé (BSA)
5) Combes.R (BSA)
6) Charrier.J (BSA)
7) Godey.P (BSA)
8) Vouillon.P (BSA)
9) Jacquemin.M (Matchless)
10) Drobecq.R (BSA)
11) Darrouy.A (BSA)
12) Lusseyran.H (BSA)
13) Lefèvre.R (BSA)
14) Barbara.R (Triumph)
15) Chuchart.A (BSA)
16) Frantz.H (Matchless)
17) Klym.Re (BSA)
18) Melioli.J (Gilera)
19) Hazianis.J (Matchless)


Les deux Roger : Lefèvre (17) et Drobecq (8).

Voici le classement général final du Championnat de France :
1) Brassine.G (BSA) 14 pts
2) Schmid.J (BSA) 16 pts
3) Ledormeur.Gé (BSA) 20 pts
4) Bertrand.G (BSA) 24 pts
5) Klym.Ro (BSA) 25 pts
6) Godey.P (BSA) 25 pts
7) Chuchart.A (BSA) 25 pts
8) Klym.Re (BSA) 27 pts
9) Combes.R (BSA) 28 pts
10) Charrier.J (BSA) 32 pts
11) Vouillon.P (BSA) 34 pts
12) Jacquemin.M (BSA) 37 pts
13) Darrouy.A (BSA) 38 pts
14) Melioli.J (Gilera) 38 pts
15) Drobecq.R (BSA) 40 pts
16) Lusseyran.H (BSA) 40 pts
17) Lefèvre.R (BSA) 40 pts
18) Barbara.R (Triumph) 40 pts
19) Frantz.H (Matchless) 40 pts
20) Hazianis.J (Matchless) 43 pts

Source et photos : Moto Revue n°1349